« Nous tenons grâce à un prix d’équilibre à 263 €/t »
En Tchéquie. Avec ses bâtiments datant de l’époque soviétique et ses dix salariés, Josef Divis mise sur une production low cost en zéro pâturage et avec des robots de traite. Une nécessité quand le prix du lait peine à franchir les 300 €/1 000 l.
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La ferme de Josef Divis s’étend sur près de 900 ha en Bohème du Sud, à une centaine de kilomètres au sud de Prague. La région est vallonnée et ponctuée de forêts et de gros villages, tel Pacov (5 000 habitants) où se trouve la ferme. Josef Divis s’est lancé dans l’agriculture en 1992, en achetant des parts dans une ancienne ferme coopérative. En 1989-1990, ces structures, héritées de la collectivisation forcée dans les années 1950, avaient été restituées à leurs anciens propriétaires ou à leurs héritiers. Beaucoup avaient reçu des parts dans ces coopératives, plutôt que quelques hectares. Josef a investi lors de la deuxième phase de privatisation, quand tous ces actionnaires ont voulu vendre.
« Peu de gens se lançaient dans l’agriculture à l’époque. Le nombre de vaches laitières comme la production étaient en chute », se souvient Josef. Mais lui a cru au potentiel de cette exploitation produisant du lait et des semences végétales. Josef a trouvé un associé, Jiri Mohl, et ils ont convaincu les banques de leur prêter les 42,5 M de couronnes (1,7 M€) nécessaires. Ils ont créé une société par actions à 50/50, un montage courant ici. « Cela faisait beaucoup d’argent. On a connu des années très dures, mais on a un bel outil entre les mains. Avec la même surface qu’au début, il vaut 4 millions d’euros aujourd’hui. »
Produire beaucoup, avec des coûts bas
Josef se charge du lait tandis que Jiri s’occupe des cultures. Ils emploient 50 salariés pour 865 ha et 327 vaches laitières. Le chiffre d’affaires s’élève à 2,6 M€, 43 % du revenu provient de la production laitière.
Josef a su tirer profit des atouts de l’exploitation pour dégager du résultat, dans un pays où le prix du lait reste désespérément l’un des plus bas d’Europe. Depuis début 2015, il n’a jamais franchi la barre des 300 €/t. Au début de l’été 2016, il est tombé à 220 €/t et il a terminé l’année à 270 € en moyenne.
Pour tenir dans ce contexte, Josef est clair sur ses priorités. « Le marché fixe le prix du lait. Ce qui m’importe, c’est ce que je maîtrise, à savoir les charges par vache et le volume produit par vache. » Actuellement, son prix d’équilibre est à 263 €/t de lait.
Les communistes ont dimensionné les fermes d’élevage de façon à les rendre autonomes en fourrages. Ils ont créé de grandes structures fonctionnelles. Josef préserve ces avantages. Les terres sont bien regroupées Les bâtiments sont solides et Josef les a conservés pour réduire les coûts.
Dans les années 1970, les Soviétiques construisaient des étables à logettes pour 200 vaches. La traite s’effectuait à l’attache. Des bâtiments souvent étroits et longs, bas de plafond et sombres. Les vaches en production sont hébergées dans deux bâtiments de ce type que Josef a rénovés. Il n’a pas hésité à ouvrir les côtés, à remonter la toiture, à créer des ouvertures dans le toit, le tout pour améliorer la ventilation et faire entrer la lumière. Pour la traite, Josef a opté pour des robots. Il a installé quatre Lely A2 et un A4. Il explique ce choix par le manque de main-d’œuvre. Le taux de chômage moyen est de 5,3 %. Mais il est inférieur à 3 % dans la région de Pacov. Et l’agriculture n’attire pas. La robotisation offre une solution.
Malgré cet équipement et grâce à la valorisation des anciennes étables, le coût des bâtiments reste très bas par rapport aux autres pays européens (25 €/t de lait contre 46 pour la moyenne du réseau EDF).
Cette recherche d’économies prévaut aussi pour l’alimentation. « Quand les fourrages sont abondants et de qualité, je sais que mon prix d’équilibre baisse », affirme Josef. Or, les conditions pédoclimatiques sont favorables, et Josef fait confiance à la personne qui gère les cultures. Les rendements atteignent 17 t de MS en ensilage de maïs, 7-8 t en herbe, 84 q en blé et 35 q en colza.
Autonomie fourragère
L’exploitation produit tous ses fourrages. Elle n’achète que du tourteau de colza, du sel et des minéraux. Josef surveille les cotations et met les fournisseurs en concurrence pour acheter au meilleur prix. Il établit la ration avec un conseiller indépendant mais sa connaissance de la composition des aliments est impressionnante. Les fraîches vêlées passent dans une vieille salle de traite durant cinq jours et rejoignent le troupeau ensuite. À partir du deuxième vêlage, elles reçoivent une injection de chlorure de calcium pour prévenir les fièvres de lait. Les vaches sont conduites en cinq lots, un par robot. Toutes reçoivent la même ration. Les premières lactations sont regroupées « parce qu’elles ont peur des plus âgées », précise Josef, soucieux de limiter le stress.
Pour rehausser le niveau de production, Josef a aussi joué sur la génétique. Au départ, le troupeau comptait une forte proportion de fleckvieh, une race proche de la simmental et encore très présente dans le pays. La moyenne s’établissait à 3 500 l/VL en 1991. « Au début, j’ai fait du croisement avec de la holstein. Plus tard, nous avons eu des subventions pour acheter des génisses. J’en ai fait venir d’Allemagne et des Pays-Bas. » Aujourd’hui, le troupeau est holstein à 100 %. Josef achète des semences en République tchèque et aux USA. Il insémine pour moitié avec des taureaux confirmés. Tout cela a conduit le troupeau à une production moyenne de 10 627 kg de lait standard, soit un peu plus que la moyenne nationale (10 118 kg). Les résultats de reproduction sont mauvais pour les vaches (30 à 36 % de réussite en première insémination). C’est mieux pour les génisses avec un taux qui oscille entre 63 et 70 %. Après trois échecs, c’est un taureau qui assure le rattrapage. Pour détecter les chaleurs et suivre globalement la santé du troupeau, l’élevage s’appuie sur les informations données par le robot et sur des outils de monitoring. Le système mesure l’activité et la rumination. « On détecte plus tôt les problèmes de santé et donc, on les soigne mieux. »
Une main-d’œuvre pléthorique mais bon marché
Dix salariés travaillent avec Josef dans l’atelier laitier. C’est beaucoup alors que la traite est robotisée et que les fourrages sont produits par d’autres équipes. Mais la main-d’œuvre n’est pas chère, 7,5 €/heure, dont 34 % de charges sociales. Et puis, la ferme est la plus grosse entreprise de la région, elle se doit de faire travailler les locaux. Une autre forme d’héritage de l’époque communiste qui encourage une prise en charge des gens par ceux qui le peuvent. L’exploitation possède six maisons et quinze appartements, loués aux salariés à petit prix.
Malgré tout, le coût du travail reste faible (5 €/t de lait). Et cette abondance de bras permet de systématiser des tâches souvent négligées ailleurs, mais qui ont un impact positif sur l’élevage. Ainsi, l’auge des vaches est nettoyée tous les matins. Les abreuvoirs sont lavés chaque vendredi. Les veaux boivent du colostrum trois fois par jour pendant les quatre premiers jours de vie…
Le travail de la journée est organisé en deux équipes. Deux chauffeurs s’occupent de l’alimentation. Deux autres personnes soignent les veaux et autant se charge de la traite des fraîches vêlées et de l’entretien des logettes. Trois personnes sont formées pour le suivi des animaux. Elles surveillent les chaleurs, assistent l’inséminateur, appliquent les traitements aux animaux qui en ont besoin, etc. Un salarié est de garde chaque nuit. Il est responsable du nettoyage du robot. Le vétérinaire passe une fois par semaine et s’occupe du parage, quand c’est nécessaire
« Nous envisageons de monter à 500 vaches »
L’éleveur analyse son exploitation avec lucidité. Sa maîtrise d’un système de production low cost est un atout. De même, il possède 50 % de la surface avec son associé, ce qui donne des garanties. Les compétences des salariés constituent un autre point fort.
Mais une menace pèse sur l’exploitation : une partie importante de la surface se trouve dans un bassin-versant qui alimente Prague. Les contraintes restent encore modérées, mais Josef pense qu’elles vont s’accentuer.
L’épandage des effluents d’élevage ne pose pas de problème, compte tenu de la surface. En revanche, certaines cultures demandent beaucoup de pesticides. Les fourrages sont beaucoup moins exigeants. « Nous avons le projet de passer à 500 vaches. Il faudra donc augmenter la surface fourragère au détriment des cultures. Cela pourrait nous permettre de continuer l’exploitation de nos terres, même en zone protégée. Il nous faudra aussi investir dans un nouveau bâtiment. »
Pascale Le CannPour accéder à l'ensembles nos offres :